Dans un premier temps, situons l’importance de la personnalité dans un contexte de longévité. Depuis 2013, nous réalisons des études en laboratoire à l’Université Concordia, avec le support du Conseil de Recherche en Science Naturelle et en Génie du Canada, afin de découvrir de nouvelles molécules permettant de ralentir la poussée de l’organisme à vieillir, ralentir le vieillissement primaire. Cette approche faisant appel à des molécules naturelles issues des plantes viendra s’ajouter aux saines habitudes de vie afin d’augmenter nos chances de vivre plus longtemps et en santé. Pour ce faire, il sera important de porter une attention à toutes les facettes des saines habitudes de vie, y compris la personnalité.

Pour l’écriture de mes livres (Vivre jeune plus longtemps), j’ai regroupé les saines habitudes de vie sous 4 facteurs principaux en décrivant un 5e facteur que j’ai nommé un facteur facilitant. Ce facteur facilitant est le fait d’être fondamentalement positif et il relève plus d’un type de personnalité que d’une simple qualité. Et si je vous disais que tous les centenaires ont les mêmes traits de personnalité, peu importe leur pays d’origine, peu importe leur culture? Il s’agit forcément d’un aspect important permettant de vieillir en santé.

La personnalité : s’empêcher de devenir vieux

Henri Matisse, grand artiste français décédé en 1954, disait que « l’on ne peut pas s’empêcher de vieillir, mais l’on peut s’empêcher de devenir vieux ». Il faisait bien sûr référence à l’état d’esprit. Parmi les facteurs associés à la longévité, la personnalité en est un appuyé par un grand nombre d’études regroupant des centenaires du Japon, de la Suède, des États-Unis et de l’Europe. Il s’agit d’études fascinantes. La majorité des centenaires partagent des traits de personnalité communs. Il va sans dire que si ces traits de personnalité sont communs à une multitude de nationalités ayant des coutumes totalement différentes, ils doivent faciliter ou expliquer en partie la longévité de ces individus.

Mais qu’est-ce que la personnalité ? De quoi dépend-elle ? La personnalité réfère à un état stable de caractéristiques cognitives, de motivations, de caractéristiques sociales, émotionnelles et comportementales. Afin d’étudier l’importance de la personnalité dans un contexte de vieillissement, des outils de mesure furent développés. Ces outils considèrent le neuroticisme/la stabilité émotionnelle, l’extraversion, l’ouverture aux expériences, le caractère agréable et consciencieux des gens.

Le neuroticisme se caractérise par une tendance persistante aux émotions négatives; des gens négatifs. Ce trait de personnalité est relié à une moins bonne longévité. Ces individus sont portés vers l’anxiété, la colère, la culpabilité et la déprime (dépression).

Pour ce qui est des individus extravertis, ils ont tendance à tirer une grande satisfaction des interactions sociales. Ils vont donc accorder une plus grande importance à la vie sociale et à sa qualité. Ils sont enthousiastes et bavards. Ils aiment les activités de groupe et sont portés à interagir socialement plutôt que de rester seuls. La vie sociale de qualité est fortement corrélée à la longévité et au vieillissement en santé, y compris la conservation des capacités cognitives.

Est-ce héréditaire ?

Notre personnalité est bien sûr influencée par la façon dont nous avons été élevés, par l’histoire familiale, mais aussi par certaines prédispositions génétiques, l’environnement et les facteurs socioculturels. Si l’on parle de prédispositions, c’est que la génétique peut influencer le développement de certaines personnalités. Nous aurions tendance à penser que la génétique n’y est pas pour grand-chose et que l’éducation et l’environnement familial jouent un rôle primordial. Certains traits de personnalité ont une forte dépendance génétique. Le neuroticisme (tendance fortement négative d’un individu) serait fortement héréditaire, avec 43 % de dépendance génétique. Il en est de même pour les caractères consciencieux et extravertis avec des niveaux de 43 et 47 % de dépendance génétique. Il faut aussi constater que pour 57% des gens négatifs, il ne s’agit pas de génétique, ils l’ont appris.

Rechercher le positif

Les études ont démontré que les centenaires sont moins stressés, plus faciles à vivre, plus efficaces en général. Ils sont très peu négatifs (neuroticisme) et beaucoup plus extravertis et consciencieux. De plus, il fut démontré que le neuroticisme est un facteur de risque important de dépression et de mortalité prématurée. Pour être plus précis, les effets physiologiques directs du fait d’avoir des pensées constamment orientées vers des émotions négatives augmentent les risques de maladies. Ces effets physiologiques se traduisent par des impacts sur l’hypothalamus et la glande hypophyse, la production des hormones de stress, l’augmentation de la pression artérielle, la modification du métabolisme, l’augmentation de l’inflammation et la réduction des fonctions de défense immunitaire.

Une personnalité plus consciencieuse aura des impacts indirects par des habitudes de vie portée vers la prévention, une meilleure alimentation, la réduction des habitudes négatives, etc. Une étude récente a regroupé les traits de personnalité bénéfiques des centenaires sous deux catégories :

  1. Une attitude de vie positive (optimisme, facile à vivre, ricaneur);
  2. Une capacité à exprimer ses émotions (librement, sans les refouler).

Une étude a démontré un lien entre l’attitude positive envers son état de santé général et le maintien des capacités cognitives. En plus d’aider à bien vieillir, une attitude positive envers la vie permettrait de maintenir ses capacités cognitives plus longtemps. Une autre étude récente, portant sur des centenaires de Hong Kong, rapporte quatre considérations importantes pour eux :

  • une relation positive avec les autres,
  • être joyeux et vivre des événements positifs,
  • l’espoir envers l’avenir et
  • une attitude de vie positive.

À quel point c’est important pour les centenaires

La population la plus connue et la plus étudiée pour sa forte proportion de centenaires est celle d’Okinawa, au Japon. L’île d’Okinawa fait partie de l’archipel d’Okinawa, constitué d’un grand nombre d’îles au sud du Japon. Ces îles forment une réserve naturelle abritant des espèces animales uniques. On peut y retrouver de 4 à 5 fois plus de centenaires et les descendants d’Okinawa ont de 2,5 à 5 fois plus de chances de vivre plus de 90 ans que la moyenne nord-américaine.

Bien que le Japon soit le pays industrialisé où les habitants ont la plus grande espérance de vie, celle des habitants d’Okinawa est encore significativement supérieure de 4 à 5 % à celle du reste du Japon. Okinawa est aussi à l’origine de la plus importante étude de suivi des centenaires au monde. L’étude a débuté en 1976 et a suivi plus de 900 centenaires jusqu’à maintenant. Cette population conserve une culture unique, distincte de la culture japonaise traditionnelle en termes d’alimentation, d’art, de religion et de leurs habitudes alimentaires. Les familles sont plus nombreuses et demeurent habituellement sous le même toit ou à proximité dans le même village.

La génétique ?

Vers la fin des années 80, certains facteurs génétiques, reliés à l’inflammation, avaient déjà été identifiés comme représentatifs de la population d’Okinawa. De la même façon, la caractérisation de leur état de santé exceptionnel a permis de constater de faibles taux de maladies cardiovasculaires, une plus forte densité osseuse, une plus faible perte cognitive en vieillissant, etc. Les centenaires d’Okinawa vieillissent en santé. Ils demeurent, dans 80 % des cas, sans problèmes de santé avant l’âge de 80 ans. La majorité des centenaires n’ont aucun problème sérieux avant 100 ans. Leur santé se détériore par la suite entre 100 et 105 ans. De plus, le cancer ou les maladies cardiovasculaires ne sont pas les premières causes de décès des centenaires japonais : c’est la pneumonie.

Il est difficile toutefois de relier ces caractéristiques de bonne santé à leur génétique particulière ou à leurs habitudes de vie. Étant donné que chaque famille partage les mêmes habitudes de vie et le même bagage génétique, on peut imaginer que la recherche de la cause de leur longévité est laborieuse. Il est clair toutefois que l’hérédité et les habitudes de vie y sont pour quelque chose.

L’alimentation ?

La diète Okinawa est maintenant reconnue pour ses bénéfices santé très importants :

  • peu de viande,
  • beaucoup de légumes,
  • du soya,
  • du poisson,
  • aucun produit de grains raffinés (farines blanchies),
  • peu de sel,
  • peu de gras saturé,
  • peu de produits laitiers.

Leurs diètes sont riches en nutriments provenant des fruits et légumes, et faibles en calories. Cette diète aurait, entre autres, un impact anti-inflammatoire important. Il est aussi important de mentionner que les Japonais ont tendance à arrêter de manger avant d’être complètement satisfaits : « Hara Hachi bu » (manger seulement pour être rassasié à 80 %). À cause de cette habitude et de leur régime faible en calories, ils présentent un indice de poids corporel faible (faible poids par rapport à leur taille) et un profil de santé qui ressemble à ceux obtenus par la restriction calorique.

Il ne faut toutefois pas négliger non plus l’importance des autres habitudes de vie. Ils travaillent encore à la production de légumes et ils les vendent eux-mêmes. Ils font de la bicyclette, marchent plusieurs kilomètres par jour et font du yoga, du karaté ou de la danse. Certains ont même affirmé avoir encore une vie sexuelle active à 90 ans. L’activité physique les gardes aussi connectés à la société. Ils accordent beaucoup d’importance à prendre soin les uns des autres. En général, ils ont une attitude positive envers la vie, dégagent une joie de vivre et croient fortement que tout le monde a une raison d’être (« ikari »). Cette raison d’être est aussi une raison de vivre, une façon d’être optimiste envers la vie et de rester positifs. Cette attitude leur permet de vivre très peu de stress. Ce qui ramène à leur personnalité.

Et les autres populations de supercentenaires ?

Il existe cinq régions connues et bien documentées (il y en a bien sûr d’autres), dont les habitants ont une plus grande espérance de vie :

  • la région d’Okinawa,
  • l’île de la Sardaigne en Italie,
  • une petite communauté en Californie,
  • une région en montagne au Costa Rica (la péninsule de Nicoya) et
  • l’île d’Ikaria en Grèce.

Ces régions furent catégorisées comme des « blue zones », des endroits où les centenaires sont encore en santé. Valter Longo, éminent chercheur dans le domaine du vieillissement, directeur de deux centres de recherche de pointe, en a décrit une 6e dans son livre « La diète de longévité », aussi située en Italie. Ces gens sont particulièrement en bonne santé toute leur vie. Par exemple, pour la péninsule du Nicoya au Costa Rica, il s’agit de la population ayant le plus bas taux de mortalité de vie moyenne (âge moyen) dans le monde entier. Une personne de 60 ans là-bas a quatre fois plus de chances de vivre jusqu’à 90 ans qu’un Américain moyen.

De façon similaire à Okinawa, toutes ces communautés partagent les mêmes facteurs de longévité : une diète basée sur une grande consommation de fruits et légumes, une activité physique modérée intégrée à leur mode de vie, une vie sociale/familiale très importante, un côté spirituel/de sens en la vie qui leur donne une raison de vivre et réduit leur stress.

Le facteur le plus important

Lorsque l’on me demande quel est le facteur le plus important, je réponds toujours la qualité de la vie sociale. Toutefois, pour réussir à développer une vie sociale de grande qualité, il faut être une personne rayonnante, agréable, positive et extravertie. Pour y arriver, développez votre personnalité!

 

Publié initialement dans la revue Vitalité QC : https://vitalitequebec-magazine.com/

 

 

Références :

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  • Simard, E. 2016. Vivre jeune plus longtemps. Marcel Broquet la nouvelle édition. 364 pages.
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