Voici le 5e article de la série rédigée par le Dr Mathieu Millette, consultez les articles précédents : Ma mère et le SARS-COV-2, Un excellent virus, L’Empire contre attaque et I have a dream…

 

En ce bel après-midi de printemps, je me berce tranquillement devant la maison. Le soleil me caresse délicieusement la peau. J’entends les cris de joie des enfants qui jouent tout près. Ma femme adorée prépare les boulettes que je cuirai au BBQ tantôt. La vie est belle.

Il n’y a qu’une ombre au tableau : la pandémie de COVID-19. Tant qu’on reste chacun chez soi, il n’y a pas de problèmes, mais on ne peut vivre bien longtemps ainsi cloîtré. C’est au Moyen-Âge que Saint Thomas d’Aquin a redécouvert et commenté l’ouvrage La Politique d’Aristote. Il y mentionne que l’humain est un animal social. Nous avons un besoin viscéral d’interagir avec nos prochains, que ce soit la famille, les amis, les collègues au travail. Nous devons aimer et être aimés en retour. Nous devons sentir que nous faisons partie d’une communauté (Bonjour communauté Facebook!). Mais avant de pouvoir retourner réinventer le monde autour d’un bon verre de ce que vous voulez, il faudra régler le compte à cette COVID-19. Le meilleur moyen : tous être immunisé contre cette terrible infection. Vaccination 101.

Le système immunitaire

Le système immunitaire sert à défendre l’organisme contre l’invasion par les micro-organismes et à empêcher les corps étrangers de nous causer des dommages. Bref, c’est notre chien de garde. Tout comme une armée est composée de divers corps d’élite chacun spécialisé dans une tâche précise (fantassins, marine, aviation, logistique, etc…), le système immunitaire est lui aussi formé de plusieurs sortes de cellules remplissant chacun un rôle particulier. Ils sont regroupés sous l’appellation de globules blancs, des cellules qui circulent presque partout dans notre corps. Le système immunitaire est divisé en deux : le système immunitaire INNÉ et le système immunitaire ADAPTATIF. Le premier permet une défense de l’organisme immédiate et non spécifique. C’est aussi une défense qui peut être submergée lorsqu’il y a une brèche ou s’il y a trop d’envahisseurs. De plus, elle n’a pas de mémoire. Si le même agresseur attaque de nouveau, elle n’a pas de plan pour se défendre plus rapidement ou plus efficacement. Le système immunitaire adaptatif est plus lent à se mettre en place, mais beaucoup plus efficace et surtout, il est spécifique, c’est-à-dire que chaque fois qu’un micro-organisme attaque, certaines cellules prennent des notes et montent un dossier sur celui-ci afin de s’en souvenir pour la prochaine fois. C’est la mémoire immunitaire. Les deux composantes du système immunitaire ont chacune des forces et des lacunes, mais se complémentent très bien et assurent la survie de l’organisme. La vaccination cherche à stimuler le système immunitaire adaptatif, celui dont les cellules reconnaissent spécifiquement les ennemis, en produisant des anticorps pour les neutraliser. Les anticorps, sortes de protéines en forme de Y libérés par certains globules blancs, reconnaissent un morceau de virus, lui passent les menottes et d’autres cellules inactivent alors les virus, ce qui mène à la guérison.

Développement d’un vaccin contre la COVID-19

Plusieurs groupes de chercheurs au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie développent actuellement un vaccin pour prévenir les infections par le SARS-CoV-2. Autant des chercheurs des milieux académiques que pharmaceutiques. Chaque groupe a un vaccin légèrement différent. Chaque groupe a sa stratégie. Certains vont cibler une ou l’autre des protéines à la surface du virus. D’autres vont plutôt cibler le matériel génétique ou encore utiliser les virus complets, mais inactivés (l’ancienne façon de faire des vaccins, à la méthode Louis Pasteur). L’entreprise Médicago de Québec fabrique un vaccin à partir de plants de tabac! Chaque stratégie à des avantages et des inconvénients. C’est une course. Non pas un sprint, mais un marathon. L’équipe qui réussira la première à démontrer chez l’humain que son vaccin est efficace à prévenir la maladie à coronavirus ou à réduire la sévérité sans trop d’effets secondaires se verra couronner championne avec tous les honneurs qui lui sont dus.

Mais, pourquoi est-ce si long de développer ce fichu vaccin?

Dans la vie, tout est relatif. Surtout le temps. Parfois il s’étire tel un long fleuve tranquille, parfois, comme durant les vacances, il file à toute allure.

L’objectif de la vaccination est de présenter le plan d’un ennemi microscopique à notre système immunitaire, en l’occurrence le SARS-CoV-2, afin qu’on développe une mémoire immunitaire. On apprend à notre corps à reconnaître l’agresseur. On lui montre son portrait. Maintenant, il est fiché. Il ne pourra plus passer à la douane tranquille. Le virus se fera intercepter et éliminer sur le champ sans qu’il puisse causer la maladie. C’est ce qui se passe naturellement lorsqu’on « attrape » le virus de la varicelle par exemple.

Tranche de vie

J’ai « attrapé » la varicelle à 22 ans. C’est pas mal vieux pour un premier épisode de varicelle. J’ai fait la plus forte fièvre de ma vie, des sueurs, des douleurs musculaires, c’était l’enfer pendant 24 heures. Ensuite, les éruptions maculopapulaires prurigineuses, ou plus simplement les picots sont apparus. Partout! Visage, dos, poitrine, bras, jambes. Ça me démangeait tout le temps. J’étais comme un fou. La seule chose qui me soulageait, c’était de me faire tremper des heures dans un bain avec de la « petite vache ». Pendant que mon système immunitaire découvrait pour la première fois ce virus, il décodait le plan et le gardait en mémoire. Ça lui prend du temps, quelques jours avant d’éliminer le virus lors d’une première rencontre. Par contre, si on vient à rencontrer de nouveau le même virus, notre système immunitaire le reconnait très rapidement, empêche le virus de se développer et de provoquer la maladie. Pour le reste de notre vie (ou à peu près), on est immunisé contre ce virus.

Le vaccin remplace cette première rencontre désastreuse; il confère l’immunité sans provoquer la maladie et les complications.

… Retour au développement d’un vaccin

Malheureusement, le programme de développement d’un vaccin est très long. Il faut premièrement avoir une stratégie et une cible virale. Ensuite, il faut « construire » le vaccin, c’est-à-dire fabriquer le produit que l’on administrera aux humains. Normalement, si c’est un vaccin basé sur la stratégie de virus vivants atténués, il faut produire de grandes quantités de virus, les inactiver, les concentrer et les purifier. Chaque étape est un défi technologique, il y a beaucoup d’incertitudes et d’obstacles à contourner. À la fin, il reste un gros tas de virus qui ne peuvent pas causer la maladie, mais qui seront reconnus par le système immunitaire. Normalement, on ajoute un adjuvant au vaccin. L’adjuvant choisi sert à amplifier la réponse du système immunitaire. C’est comme si on surlignait en jaune certaines parties du plan de l’ennemi qui sont très importantes pour le détruire. Lorsque le vaccin est complété, il faut trouver le bon dosage et le nombre de fois qu’on doit vacciner (doses de rappel) chez des animaux (phase préclinique). Si tout se passe bien, on va en phase 1. Le vaccin est alors administré à des humains en santé afin de voir s’il y a des effets secondaires et si le vaccin est efficace pour produire une grande quantité d’anticorps protecteurs contre le virus. Ensuite, les chercheurs organisent une étude clinique de phase 2 qui sert à valider l’efficacité sur un plus grand groupe d’humains, valider le dosage et les rappels. Finalement, la phase 3 est une étude de grande envergure sur des centaines ou des milliers d’individus afin de valider que le vaccin est efficace, sécuritaire et que son effet est généralisable à une grande partie de la population. Planifier, organiser, exécuter et analyser chaque phase prend plusieurs semaines à plusieurs mois. En ce moment, tous les groupes de chercheurs exécutent ces étapes très rapidement, beaucoup plus rapidement qu’en temps normal. Les experts prédisent qu’il faudra entre 12 et 18 mois pour compléter toutes les phases de développement du vaccin contre la COVID-19 et recevoir l’approbation des autorités réglementaires. Autant aux États-Unis qu’en Chine, des vaccins sont déjà à l’étude sur des citoyens. Le chrono est parti.

Qui en bénéficiera?

Lorsque le GO (pas notre premier ministre, mais le signal de départ…) sera donné, il n’y aura pas suffisamment de doses de vaccin pour tous. La vaccination des populations se fera par ordre de priorité selon les facteurs de risque. Les intervenants de première ligne du système de santé seront les premiers à le recevoir. Ensuite, nos aînés présentant des facteurs de risques de complication liés à la COVID-19 (lire la chronique « Un excellent virus » pour plus d’informations sur les facteurs de risque). Ensuite, toutes les personnes âgées de plus de 65 ans et finalement le reste de la population. Lorsqu’une grande partie de la population sera vaccinée ou immunisée contre le SARS-CoV-2, nous n’aurons plus à craindre les conséquences funestes de ce foutu virus.

Aristote sur l’éducation

Aristote a longuement réfléchi à ce que devrait être l’éducation. Bien sûr l’éducation scolaire comme on l’entend aujourd’hui, mais aussi l’éducation continue toute la vie durant. Il l’appelle la paideia et l’objectif est d’étudier toutes les formes de culture afin que chaque citoyen s’élève à son idéal de perfection. Depuis les dernières semaines, ma femme et moi découvrons les joies (et les défis… pour rester polis) de l’école à la maison. Nous sommes guidés par les plans de cours de Mme Émilie (une jeune professeure géniale remplie d’énergie dotée d’une patience d’ange), mais j’en profite pour enseigner certaines valeurs qui me sont précieuses : la persévérance, le travail acharné, s’aimer, se respecter, respecter les autres, prendre soin d’autrui et surtout, toujours s’émerveiller devant les beautés de Dame Nature. Mon fils, je te souhaite une longue vie remplie d’apprentissages, de bonheur et d’aventures entourés d’une foule d’amis (es) à moins de deux mètres!

 

Ne manquez pas le prochain article de cette série qui sera mis en ligne au cours des prochaines semaines!
Mathieu Millette, Ph. D. Mcb.A. Docteur en microbiologie et membre de l’Association des Microbiologistes du Québec