Voici le 3e article de la série rédigée par le Dr Mathieu Millette, consultez les deux premiers articles : Ma mère et le SARS-COV-2 et  Un excellent virus

 

Chanson thème de La Guerre des Étoiles. C’est la sonnerie de mon téléphone. J’aime beaucoup cette saga. Panique! Mon beau-père vient de se réveiller avec 38,5 degrés Celsius de température. Il a de la difficulté à respirer. En ce moment, avec la pandémie de COVID-19 qui sévit partout, il est intuitif de penser qu’il en est atteint. C’est un homme de 72 ans, diabétique, hypertendu et il est sous dialyse depuis 1 an et demi. Il est aussi très intuitif de penser que les chances qu’il fasse des complications, se retrouve à l’hôpital, sous respirateur ou même en meurt sont très élevées. Lui qui est d’une nature joviale et boute-en-train, un excellent conteur qui a toujours une blague hilarante en tête est maintenant très anxieux, stressé, amoché. La belle-mère est en état de choc; ils sont ensemble depuis toujours. Coup de foudre au début de l’adolescence, fréquentation et sorties timides ensuite. Ils se sont mariés il y a de ça 47 ans. Elle pense au pire; nous pensons toujours au pire. Mais que se passe-t-il au juste lorsque le SARS-CoV-2 pénètre notre organisme?

Le voyage viral

Le voyage viral débute lorsque vous faites les courses, au supermarché, à la pharmacie ou simplement une promenade de santé. Un individu, pas nécessairement louche, tousse ou éternue en passant près de vous. Selon Julian Tang (de la National University of Singapore), environ 3000 microgouttelettes sont alors expulsées très rapidement. Pour le virus responsable de la grippe saisonnière, ces gouttelettes contiennent environ 20 000 virus actifs. Pour le SARS-CoV-2, on ne sait pas encore, mais il est permis de présumer que ce sera la même chose. Ces gouttelettes atterriront sur votre peau, dans votre nez, dans votre bouche. Les virus se fixent alors à la surface des cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins, les poumons, les intestins, les reins et le cœur sur le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2). En simple, les virus ont beaucoup de portes d’entrées et de cellules cibles potentielles.

Chaque fois qu’un virus de SARS-CoV-2 s’accroche à la surface d’une cellule cible, il va injecter son ARN (matériel génétique) de la même manière qu’une seringue libère son médicament. À ce moment, chaque cellule infectée fabrique de nouveaux virus, des millions de nouveaux virus qui sont libérés dans le corps et la circulation sanguine. Ces nouveaux virus envahissent et prennent contrôle des cellules avoisinantes et l’opération recommence. Vous pouvez facilement deviner ce qui arrive lorsque les virus se rendent aux cellules pulmonaires : elles sont complètement détruites. À ce moment, l’organisme tente de riposter.

La riposte

Les cellules infectées, bien que sous le contrôle des virus, avertissent leurs voisines en libérant un messager chimique nommé interféron. Ces molécules ont un effet antiviral en réduisant l’entrée des virus et en ralentissant la fabrication de nouveaux virus. De plus, l’interféron, ou plutôt les interférons, car il y en a plusieurs, avertissent les cellules du système immunitaire qu’il y a un danger. Ce dernier s’active et tente de détruire l’envahisseur. C’est à ce moment que la fièvre et les sécrétions nasales s’installent. On peut avoir mal à la gorge, à la tête et dans tous les muscles. Si les virus sont rendus dans les poumons, une pneumonie et de la difficulté respiratoire peuvent s’installer. Le système immunitaire produit ce qu’on appelle dans le jargon scientifique une tempête de cytokines (autres messagers chimiques) et au lieu de favoriser un rétablissement, ça crée beaucoup d’inflammation. La situation s’empire. Voyez-le un peu comme les scènes de combats à la fin des films Star Wars lorsque la Résistance affronte l’Empire : il y a toujours beaucoup de vaisseaux spatiaux, de tirs de canons laser, de missiles et d’explosions! Les bons semblent toujours sur le point de céder.

La rébellion

À l’hôpital, on vous donnera des analgésiques pour soulager la douleur et beaucoup de liquide pour prévenir la déshydratation. Si la quantité d’oxygène dans le sang diminue (hypoxie), vous aurez l’assistance d’un respirateur. C’est à ce moment qu’on prie, ou plutôt qu’on espère que le système immunitaire prenne le dessus sur le virus, car sinon c’est la mort par insuffisance respiratoire, arrêt du fonctionnement de nombreux organes ou septicémie (infection généralisée par le virus qui se propage dans le corps par le sang). Ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un faible pourcentage de personnes qui souffrira de complications (pour l’instant, c’est environ 5-10% au Québec). La plupart des gens n’auront que des symptômes grippaux légers à modérés et tous, nous finirons par développer une immunité contre le coronavirus.

L’empereur

L’empereur Palpatine, ennemi juré des Jedis, était immortel, enfin jusqu’à ce que Rey Skywalker lui règle son compte. C’est dans ces temps de COVID-19, d’incertitude, de désorganisation, qu’on se rend compte que nous, humains tout ce qu’il y a de plus normal, n’avons pas l’éternité devant nous. Les historiens nous relatent les conséquences meurtrières des dernières grandes pandémies avec des millions de morts. Il est donc normal de prendre un peu de recul sur notre propre vie. On médite sur notre rôle sur la Terre, ce qu’on veut faire de notre vie, sur l’importance de notre famille et des gens qui nous entourent. C’est ce que je fais depuis deux semaines. Je sais bien que je ne suis pas immortel. Je sais bien que mes parents et beaux-parents ne sont pas immortels, je ne suis pas naïf, mais dans mon cœur d’enfant, je l’espère tous les jours secrètement.

Le retour sur terre

Finalement, après plusieurs heures stressantes à l’hôpital, mon beau-père n’a pas la COVID-19. Diagnostic : infection bactérienne intestinale. Prescription : antibiotiques 3 fois par jour pendant 10 jours. Ouf! Ce n’est pas pour maintenant.

 

Ne manquez pas les prochains articles de cette série qui seront mis en ligne au cours des prochaines semaines!
Mathieu Millette, Ph. D. Mcb.A. Docteur en microbiologie et membre de l’Association des Microbiologistes du Québec