Texte publié initialement sur www.joelmonzee.com  

Alors que nous sommes dans une année électorale au Québec, nous allons pouvoir assister à diverses déclarations de candidats qui vont nous affirmer qu’ils règleront le problème des urgences grâce à leurs toutes nouvelles idées. Certes, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, vient de publier un projet de réforme du système de la santé, mais cela reste essentiellement basé sur les structures. Par ailleurs, on y parle beaucoup de soins curatifs et si peu de prévention.

Pour sa part, la candidate de Québec Solidaire, la docteure Mélissa Généreux, expliquait qu’elle « engagerait immédiatement près de 2000 professionnels dans le réseau public pour mettre fin aux listes d’attente «épouvantables» en santé mentale, s’il devait prendre le pouvoir, en octobre prochain, » comme si le neurologue Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, n’avait pas déjà tenté de mettre en place de telles mesures depuis son entrée en poste!

Je peux me tromper, mais cela n’est pas aussi simple que cela de venir en aide aux citoyens dans le besoin quand on sait que le Québec dispose du plus grand nombre de psychologues de toutes les provinces canadiennes. D’une part, je doute qu’ils ferment leur bureau professionnel, car nombreux sont ceux qui ont quitté les institutions cliniques dans lesquelles ils ont débuté leur carrière. D’autre part, la santé mentale repose sur de nombreux déterminants et il est à craindre que tant que les habitudes de vie des citoyens ne se transforment pas, le problème de santé mentale ne fera que de se compliquer.

En fait, deux avenues devraient être considérées pour réduire la liste d’attente des personnes malades sur le plan physique et mental: (1) les experts doivent apprendre à collaborer en créant un dialogue respectueux et non-corporatiste pour encourager une vision intégrative des soins de santé, alors que (2) il est urgent d’encourager la santé dans toutes ses sphères, le curatif comme le préventif, pour encourager les différentes avenues en termes de saines habitudes de vie. C’est ainsi qu’après un flash back sur mon parcours réflexif, je vous parle de l’importance d’encourager une compréhension intégrative de notre santé.

Flash Back

Depuis toujours, je m’intéresse au sens de la santé. Au début de mon adolescence, j’étais autant fasciné que choqué de voir le nombre de médicaments que consommaient, chaque jour, mes grands-parents.

Il faut savoir que, en Belgique, il y a un taux d’un médecin pour 249 habitants, là où on est passé de 1/487 à 1/408 ces 10 dernières années au Québec et de 1/467 à 1/414 dans l’ensemble du Canada. Par ailleurs, les frais médicaux sont, en Belgique, scindés en trois. Le patient paie 33% des coûts de consultation, alors que sa mutuelle et l’État se partagent le reste de la facture. Bref, il y a moins de difficultés à rencontrer un médecin en Belgique qu’au Québec si tant est que la personne dispose d’une marge de manoeuvre pour payer sa quote-part.

C’est ainsi que ma grand-mère était fière de nous raconter que, si un médecin refusait de lui prescrire des médicaments, elle allait en voir un autre, puis un autre, puis un autre… jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de recevoir une ordonnance. Pour elle, un bon médecin était celui qui prescrivait un médicament pour soulager un problème ou un autre. C’est ainsi qu’elle avait un plateau de 3 pieds sur 2 pieds, rempli de boites de médicaments, dont la moitié était pour elle et l’autre pour mon grand-père.

Pour moi, cela n’avait pas de sens. Et je me suis promis de tout faire pour ne pas tomber dans ce piège. Non pas que je n’adhère pas à la médecine proprement dit, mais que je crois qu’on est devenu beaucoup trop affectés par trois phénomènes: (a) la dépendance face à la biotechnologie avec des protocoles défendus par des données quantitatives publiées (occultant par la même occasion la richesse des études non-publiées, car les conclusions dérangent), (b) la croyance que la structure administrative l’emporte sur la relation humaine et la singularité de chaque individu et (c) une vision trop réductionniste des facteurs contribuant à la santé.

J’explore abondamment le premier phénomène dans ma note de recherche publiée en 2001 avec Charlène Bélanger, alors que nous avions passé deux ans à réfléchir aux enjeux touchant la recherche en santé et les défis que posaient la promiscuité entre les universités et l’industrie pharmaceutique. À la suite de mon postdoctorat effectué dans un laboratoire d’éthique politique pour documenter plusieurs phénomènes touchant la régulation des comportements des décideurs face aux biotechnologies, j’ai publié un essai en 2010 qui apporte un éclairage illustrant les risques pour le bien commun et la santé des individus.

D’immenses structures administratives

Le deuxième phénomène repose sur la complexité des structures administratives devenues tentaculaires et le manque d’adaptabilité de celles-ci face à l’évolutions des réalités du terrain. La crise sanitaire vient de démontrer à quel point il est urgent de retrouver des organisations plus petites, plus adaptatives et plus proches des patients. Si je n’ai aucun doute quant à la bonne volonté de la très grande majorité des personnes impliquées, il est à craindre que les mégastructures mises en place par les gouvernements libéraux successifs n’aient que trop compliqué la vie des individus (patients, professionnels de la santé et gestionnaires), ce qui pourrait avoir profité aux lobbies des différents domaines de la Santé.

En mai 2020, Danièle McCann, alors ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, avait déclaré – lors d’un point de presse avec le Premier ministre François Legault et le directeur de la Santé publique Horatio Arruda – qu’il n’y avait pas que la courbe des malades qu’elle espérait aplatir, mais aussi la pyramide administrative des centres hospitaliers, c’est-à-dire qu’elle espérait réduire le nombre de personnes dans les bureaux (gestion) au profit d’un plus grand nombre de personnes sur le terrain (clinique). Somme toute, elle désirait que les professionnels de la santé retrouvent des fonctions de soins, plutôt que d’assurer des tâches administratives.

Ce vœu pieux n’est pas nouveau. J’ai eu l’occasion d’en discuter à quelques reprises avec la personne que je considère comme mon mentor en politique, le docteur Jean Rochon. J’ai aussi contribué à la préparation de notre intervention, au sein de Force jeunesse, à la Commission Clair. J’ai également participé à la Commission Romanow sur l’avenir des soins de santé au Canada. J’ai surtout monté les dossiers et participé aux trois commissions parlementaires sur l’Assurance médicament du Québec.

Si je passe sur les deux premières, il faut savoir que la troisième était pilotée par le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, à savoir François Legault. Il se penchait sur différents problèmes, dont le déficit chronique observé depuis la création du système hybride public/privé. L’efficience de Force Jeunesse reposait sur le fait que nous étions de jeunes professionnels qui se réunissaient régulièrement pour analyser des problèmes sociétaux, documentaient les phénomènes avec des visions multidisciplinaires, puis produisaient une note, un avis ou un mémoire à soumettre aux responsables politiques de tous les partis. Nous discutions donc avec le gouvernement, mais aussi les oppositions pour les sensibiliser aux angles morts des projets de loi ou aux enjeux ciblés par des commissions parlementaires, alors que ceux-ci mettaient à risque les jeunes générations.

C’est ainsi que, en 2001, nous avions identifié l’origine du « trou financier » de l’Assurance publique. Après notre audition, des actuaires de la RAMQ sont venus nous questionner plus en détails sur notre analyse. Je me souviendrai toujours l’interjection de l’un d’entre eux: « bon, expliquez-nous ce que nous, nous n’avons pas encore compris! » En fait, la pluralité des fonctions professionnelles des membres de notre groupe de bénévoles avait permis d’identifier un stratagème favorable aux assureurs privés.

Au sein du groupe, chacun avait sa responsabilité. Pour ma part, je devais rencontrer, en marge de la commission, la députée libérale qui agissait comme critique en matière de Santé pour lui exposer notre analyse. Elle me répliqua « mais, on ne pourra jamais changer la situation, c’est notre électorat qui est en jeu! » De fait, Pauline Marois qui pris en charge le ministère en mars 2001 n’y changea rien, pas plus que les Libéraux qui furent élus en 2003.

C’est un dossier que nous avons alors moins suivi au sein de Force Jeunesse. Nous étions occupés par d’autres sujets sociétaux. Le président, Martin Koskinen, a été recruté comme conseiller auprès de François Legault devenu ministre des Finances. Ce fut Jean-François Roberge qui devint président de Force Jeunesse, alors que j’eu le plaisir d’être son vice-président. Ainsi, je poursuivis mon travail bénévole sur la réforme de la Loi des normes, dont l’épineux problème des clauses orphelins (diminution de salaires des jeunes employés au profit des anciens) et du harcèlement psychologique en milieu de travail, prise en charge par mon mentor Jean Rochon.

Les 12 travaux d’Astérix

Force est de constater que, vingt ans après, les choses ont peu changé. Collectivement, nous sommes toujours confrontés à de gros défis. Pour faire la lumière sur le sujet, Katia Gagnon et Ariane Lacourcière viennent de signer un excellent dossier qu’elles ont intitulés « Les six travaux de Christian Dubé » pour définir les pistes de solution qui pourraient régler les problèmes structurels du système de santé. On les connaissait, mais ceux-ci ont largement été mis en lumière par les conséquences de la crise sanitaire et politique qui nous accable depuis plus de deux ans.

Pour ce faire, elles remontent aux différentes réorganisations majeures de notre système public depuis le « Rapport Rochon » (1988) en passant par les différentes commissions qui furent orchestrées pour tenter d’améliorer l’accès aux soins de santé pour les personnes malades ou en perte d’autonomie. Elles analysent six chantiers, présentant ce qui aurait dû être fait et ce qui a réellement été mis en place:

  • se doter d’une première ligne forte,
  • augmenter les soins à domicile pour les aînés,
  • décentraliser le réseau,
  • implanter le financement à l’activité,
  • informatiser le réseau de la santé,
  • s’appuyer davantage sur le privé.

Leurs analyses présentent ainsi l’évolution des visions proposées lors de commissions, mais aussi comment elles ont été concrètement mises en place, sans oublier de décrire les défis qui se sont complexifiés de décennie en décennie.

Je propose toutefois six autres chantiers de réflexion et de transformation de notre manière de gérer la Santé au sens large:

  • décloisonner la compréhension de la santé et questionner l’hégémonie de certaines corporations, parfois bien trop influencées par les lobbies pharmaceutiques et nécessités universitaires;
  • questionner les protocoles proposés par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, tout autant influencés par les lobbies pharmaceutiques et nécessités universitaires, pour faire émerger des stratégies curatives, mais aussi préventives, basées sur des pratiques multidisciplinaires;
  • financer des recherches multidisciplinaires basées sur des protocoles de recherche de type mixte (protocoles de recherche néo-phénoménologique);
  • mettre en place des stratégies publiques qui encouragent des actions concrètes sur tous les déterminants de la santé, y compris les aspects qui découlent de la pauvreté, tout en encourageant les déductions fiscales en santé pour toutes les pratiques préventives et curatives;
  • identifier les facteurs environnementaux qui affectent, voire altèrent, la santé au sens large, mais surtout les aspects physiologiques, afin de mettre en place des politiques spécifiques pour réduire les risques engendrés par une nuisance identifiée;
  • enseigner dès l’école primaire les saines habitudes de vie favorisant une santé équilibrée dans les différentes sphères de la vie (physique, mentale, sociale et environnementale).

Ces six autres chantiers se basent sur une vision intégrative de la santé qui ne pourra se mettre en place qu’à partir du moment où le corporatisme s’effacera au profit d’une collaboration respectueuse et d’une meilleure connaissance des différentes pratiques favorisant la santé. Prioritairement, il serait précieux qu’on travaille plus sur les facteurs encourageant la santé que sur les nécessités pour contrer la maladie! Pas qu’il faille nier la seconde, mais que si moins de gens tombent malades, les soins pourront plus facilement être prodigués aux personnes qui en ont besoin.

 

Sources

J. Bernier, QS veut mettre fin aux listes d’attente en santé mentale, Journal de Montréal, 2022 [https://www.journaldemontreal.com/2022/04/16/qs-veut-mettre-fin-aux-listes-dattente-en-sante-mentale]

K. Gagnon et A. Lacourcière, «Refondation» du système de santé: les six travaux de Christian Dubé, LaPresse, 2022 [https://www.lapresse.ca/contexte/2022-03-20/refondation-du-systeme-de-sante/les-six-travaux-de-christian-dube.php]

J. Monzée et C. Bélanger, Recherche en santé : enjeux et perspectives. Montréal (Québec) Canada : Éds AEGSFM, 2001

J. Monzée et A.M. Tassé. Droits d’auteurs des travaux de recherche: entre propriété intellectuelle, probité intellectuelle et plagiat. Revue Dire, 2001, vol. 11(1): 43-45

J. Monzée, Dopage sportif: de la responsabilité des chercheurs et des entreprises pharmaceutiques. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 2005, vol. 7(2): 53-70

J. Monzée, Médicaments et performance humaine: thérapie ou dopage? Montréal, Éditions Liber, 2010

J. Monzée, Évolution des connaissances biotechnologiques et pratiques psychothérapeutiques, Revue québécoise de psychologie, 2012, vol. 33(2): 97-122

Organisation mondiale de la santé, Données et statistiques [http://www.who.int/research/fr].

Institut de la statistique du Québec, Le Québec chiffres en main (édition 2006) [www.stat.gouv.qc.ca].

Agence Belga, 26% de médecins en plus en Communauté française, [http://www.rtbf.be/info/belgique/politique/26-pc-de-medecins-en-plus-en-communautefrancaise].

Cirano, Évolution du nombre de médecins par 100 000 habitants (données réactualisées) [https://qe.cirano.qc.ca/theme/education-sante/sante/effectif-medical/graphique-evolution-nombre-medecins-100-000-habitants]

J. Monzée (dir.), Neurosciences et psychothérapie: convergence ou divergence, Montréal, Éditions Liber, 2009 (ré-imprimé en 2015)