Quelle sera la mission de la médecine familiale au Québec, ou plus globalement en Amérique du Nord, dans les années à venir? La biogérontologie a fait de grands pas et le rythme des découvertes s’accélère. Les technologies numériques et les avancées scientifiques progressent à une vitesse incroyable, en regard des échanges d’information de plus en plus rapide et en temps réel. On est ainsi en droit de se questionner sur le devenir de la médecine, tant sur le plan préventif que curatif. Les progrès au niveau des diagnostics, entre autres avec l’imagerie et les technologies numériques, nous emmènent à nous questionner sur l’impact que pourrait avoir la médecine sur la longévité humaine.  Et comme corollaire, quel impact pourrait avoir une longévité accrue sur la pratique de la médecine.

Sommes-nous en droit de penser que l’ultime prévention en médecine pourrait être de freiner le vieillissement ou la sénescence, de façon à décélérer les maladies dites dégénératives, et vivre plus longtemps en meilleure santé. On a longtemps considéré la « vieillesse » comme une réalité inéluctable, à laquelle se greffent de nombreuses conditions morbides qui conduisent inexorablement à la mort. Or, théoriquement, il nous apparaît que l’on pourrait réduire la vitesse de la sénescence, et ainsi favoriser la conservation des fonctions propres aux tissus jeunes beaucoup plus longtemps, voire même de les régénérer.

L’émission Découverte du 10 février 2019 décrivait les avancées de la clinique Mayo, institution médicale connue mondialement. En particulier, les travaux du Dr James Kirkland, chercheur en biogérontologie, font état de la capacité de certaines substances déjà disponibles pour des essais cliniques sur des humains à réduire le vieillissement des cellules exposées. De la même façon, Idunn Technologies, une entreprise québécoise, en collaboration avec l’Université Concordia, a annoncée des résultats très importants le 5 mars 2019 (voir ici). Il s’agit d’une publication scientifique de très haut niveau décrivant la mise en commun de différents mécanismes cellulaires afin de ralentir le vieillissement primaire de l’organisme.

Quel pourrait être le rôle du médecin face à une nouvelle approche visant la longévité ? En prévention dite primaire, c’est-à-dire avant que ne survienne la maladie, le médecin doit pouvoir intervenir en amont de celle-ci. Il pourra identifier les « terrains » prédisposant l’apparition des problèmes de l’individu qui le consulte. En prévention secondaire, c’est-à-dire lorsque la maladie ou la dysfonction survient, il doit pouvoir intervenir pour ramener l’équilibre perdu, autant que se peut : on vise ici la « guérison » proprement dite. Pour la prévention tertiaire, il participera à « limiter les dégâts » et aider l’individu en développant des scénarios d’adaptation lui permettant de mieux vivre avec sa ou ses maladies, sans prétendre les guérir. On vise ici, bien sûr, les maladies dites dégénératives ayant évolué durant plusieurs années et produit des séquelles irréversibles.

Le travail du médecin, dans l’ensemble de ces trois sphères préventives, se situe d’abord et avant tout dans l’établissement de diagnostics, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Ce diagnostic tiendra compte des habitudes de vie, des antécédents personnels, médicaux et chirurgicaux, et possiblement génétiques. Les facteurs familiaux sont également importants pour cibler les zones de vulnérabilité de la personne qui consulte.

Une fois les diagnostics posés, de même que les terrains de prédilection établis, les médecins pourront suggérer des approches préventives ou curatives ciblant les interventions propres à courcircuiter les maladies dites dégénératives ayant une incidence sur la qualité et la durée de la vie.

Dans un deuxième temps, le médecin devra stabiliser ou traiter le patient afin de ramener l’équilibre compromis. La troisième action sera d’établir un plan de suivi et de traitement apte à préserver toute détérioration dans les fonctions physiologiques, tant au niveau physique, psychique, ou social, car ces trois dimensions sont interreliées et fondamentales au maintien d’une santé optimale.

Comment le médecin peut-il inclure le volet longévité aux éléments cités précédemment ? On connaît de plus en plus les voies métaboliques du vieillissement et il devient d’ores et déjà possible d’intervenir sur celles-ci et de retarder l’apparition des maladies dégénératives. Le médecin peut ainsi identifier les terrains spécifiques à certaines maladies que pourrait développer son patient, mais aussi agir de façon non spécifique sur le vieillissement cellulaire. Cette dernière fonction pourrait s’avérer grandement préventive quant à sa capacité de préserver l’intégrité de la fonction cellulaire. Ceci pourrait bien constituer l’ultime prévention. Ainsi, en guise d’exemple, un patient avec prédilection pour l’ostéoarthrite pourrait recevoir par exemple des extraits des polyphénols d’olive (action globale), en même temps que des agents agissant spécifiquement sur l’inflammation, comme la griffe du diable ou le curcuma. Le postulat de base est ici de nuire le moins possible à d’autres fonctions essentielles, en utilisant d’abord des produits exempts d’effets secondaires qui viendraient diminuer leur intérêt. Comme le dit le vieil adage énoncé par Hippocrate : « Primum non nocere » : en premier, ne pas nuire. Certains produits naturels présentent des avantages indéniables et bien décrits pas la science, de par leur innocuité en comparaison avec des molécules plus lourdes, avec plus d’effets indésirables. Les solutions initiales devraient inclure davantage de stratégies sans potentiel de préjudice défavorable pour le patient. En cas d’insuccès pourra-t-on considérer des molécules plus « dures », tout en limitant le plus possible leur impact négatif.

– Jacques Lambert, MD