Première partie
Je fête cette année mes 40 ans comme pharmacien propriétaire. Quarante années… Ça fait réfléchir, et si on est foncièrement honnête intellectuellement, à l’aube de la retraite, on sent cet irrésistible besoin de s’arrêter, faire le point, et analyser avec un certain recul notre manière de pratiquer.
Depuis plusieurs années, je songeais à écrire un article pour partager mes réflexions sur notre système de santé, basé notamment sur mes 40 années comme pharmacien propriétaire, mais aussi sur le fait que j’ai tour à tour côtoyé et pratiqué la massothérapie, la phytothérapie, l’acuponcture, et bien sûr la pharmacie.
La lecture d’un récent article paru en avril 2019 dans la revue Profession Santé (vol.5-No.4), signé par le Dr Guylène Thériault, M.D., C.F.P.G., Vice-doyenne adjointe à l’Université McGill et médecin de famille à Gatineau, est venue me confirmer que je n’étais pas le seul professionnel de la santé à faire la recommandation, pour citer le Dr Thériault, de « Cultiver un scepticisme sain » dans notre pratique. Bien que son article s’adresse particulièrement à des médecins et des pharmaciens, et porte sur le surdiagnostic, elle encourage les professionnels de la santé à aller chercher eux-mêmes les réponses à leurs questions, et non pas nécessairement à se fier sur de vieilles lignes directrices imposées par Dieu sait qui (Universités, compagnies pharmaceutiques, sites Web, ou autres).
Chaque professionnel de la santé approfondit sa propre expertise, sa propre spécialité, et c’est très bien ainsi. Parce que chacune de ces expertises a sa propre « puissance », son propre potentiel, et cette spécialisation permet à chacun d’être expert dans son domaine. Mais où sont nos propres limites ? Ne seraient-elles pas là où commence l’expertise de l’autre ? En effet, toutes ces expertises respectives en viennent à se frôler, à se croiser, et c’est là qu’on devrait voir un avantage à une certaine convergence.
Dans les faits, chaque type de « médecine » ou de pratique médicale a un certain pourcentage de succès. Je peux vous garantir qu’au moment où je pratiquais l’acuponcture dans les années soixante-dix, j’ai eu des résultats au moins aussi efficaces avec certains patients qui avaient des douleurs articulaires que ceux que j’ai pu constater chez mes patients qui, en tant que pharmacien, utilisaient des anti-inflammatoires par voie orale…mais le tout sans les effets secondaires.
Donc, la fourchette réelle couverte par une spécialité quelconque n’englobe jamais la « totalité » d’un problème, et ne peut jamais tout expliquer…
Et tous ces « points de contact » entre les différentes sphères « médicales » sont la meilleure chose qui puisse servir l’intérêt du patient.
La meilleure solution santé pour un patient ne se trouverait-elle pas dans cette situation où, au fur et à mesure que les différents professionnels de la santé vont croiser leurs connaissances et leurs compétences, il serait logique de penser que nous accédions à des résultats inédits et jamais envisagés auparavant. Voir la maladie, la santé et le patient sous un jour nouveau et différent.
Ces croisements d’informations pourraient mener à de nouvelles notions, théories, ou traitements, bénéfices qui seront ou non confirmés par l’expérience.
Comprenons-nous bien : aucune médecine n’apporte 100 % de résultats positifs, mais chacune y arrive occasionnellement pour certains patients spécifiques. Alors, pourquoi ne pas envisager plusieurs types de médecines pour un même patient ? Par exemple les contraintes d’une médecine ne pourraient-elles pas être couvertes par une autre ?
Au lieu de regarder ce qui nous sépare les uns des autres, voyons ce qui nous rapproche.
Au lieu que chaque médecine « provoque » l’autre, pensons à la complémentarité avec l’autre…
Aucune médecine ne répond à TOUTES les questions, mais il est probable qu’ensemble toutes les médecines répondraient à presque toutes les questions. Évidemment, le psychologue va travailler avec des séances d’écoutes thérapeutiques (puisqu’il ne peut pas légalement prescrire), le psychiatre lui va souvent recourir à la médication, le physiothérapeute va utiliser des appareils ou de la manipulation, tandis que l’orthopédiste peut recourir à la médication ou la chirurgie, le naturopathe à la supplémentation, et ainsi de suite. Ne pourrait-on pas envisager qu’un patient particulier puisse avoir le meilleur résultat possible en consultant un psychologue, en ayant un traitement en physiothérapie et en utilisant un supplément ? Ça n’arrivera jamais si l’un des 3 dénigre la pratique de l’autre…
En somme, chaque professionnel est littéralement « enfermé » dans son silo de pratique, prisonnier des « dogmes » de sa propre profession.
Ne serait-il pas temps de décloisonner tout ce beau monde ? Je suis profondément convaincu que notre bonne vieille médecine occidentale traditionnelle ne peut pas, à elle seule, conduire mes patients à la pleine santé.
Mais vous, qu’en pensez-vous ?
– André Perreault, Pharmacien