Depuis deux ans, nous sommes aux prises avec une pandémie qui a largement mis à mal la plupart des êtres humains… Un virus qui mute à une vitesse vertigineuse, contrairement à la rougeole ou la polio, met une pression énorme sur les systèmes publics et privés des différentes nations.

Joël Monzée, docteur en neurosciences et éthicien (www.joelmonzee.com), et Éric Simard, docteur en biologie et chercheur (www.esimard.com), vous proposent une réflexion sur des oublis volontaires de la pandémie.

Pour rappel, une théorie n’est scientifique que parce qu’elle est soumise à diverses critiques émergeant d’un univers d’informations contradictoires (1). Si une théorie est priorisée au détriment d’autres, car les canaux de communication sont efficacement exploités, cela induit un faux sentiment de consensus. Au mieux, c’est une théorie dominante qui ne reflète pas les nuances nécessaires.

Même dans le domaine de la physique solidement ancrée dans les mathématiques, il est parfois difficile de démontrer certaines théories. On sait tous que la terre est ronde et tourne autour du soleil, mais le démontrer hors de tout doute est un large défi. Ainsi, ce n’est pas parce que la démonstration est difficile que ce n’est pas vrai.

Dans le domaine de la Santé, cela peut induire de nombreuses personnes en erreur. Et nous avons, collectivement, manqué de prudence en laissant un seul discours occuper toutes les pensées. Il était possiblement nécessaire, mais devait-il être le seul? Serait-il possible d’oser se permettre de remettre les choses en perspective?

L’exemple de la méditation

Associée aux pratiques spirituelles orientales, la méditation est encouragée depuis des millénaires pour créer un état de sérénité chez les praticiens. Elle est devenue à la mode ces dernières années grâce au développement spirituel appelé « new age », mais surtout les études de Jon Kabat-Zinn (2). Il a mis 30 ans pour que son protocole de gestion du stress et de l’anxiété puisse recevoir une certaine considération. Pourtant, elle est encore critiquée, et ce, même si on constate de puissants effets positifs sur les fonctions physiologiques.

En fait, cette pratique (comme d’autres approches dites de médecine douce) n’est pas garantie. Elle demande un effort, parfois ardu, pour l’utiliser sur une base régulière. Dans un monde sous pression, il est parfois plus simple de prendre un psychotrope. La molécule force une réaction du cerveau et la personne peut éventuellement rester fonctionnelle sans consacrer, pour réduire sa charge mentale, quelque 30 minutes d’une journée déjà bien occupée.

L’exemple de la dépression

Dans le traitement de la dépression, de nombreuses études (3) ont montré que trois stratégies permettaient de diminuer les symptômes: 1- un antidépresseur durant 3 à 12 mois; 2- une psychothérapie durant 3 à 12 mois; 3- la marche à pied, au moins 30 minutes 3 fois par semaine, durant 3 à 12 mois. Toutefois, les personnes pratiquant les exercices physiques ont statistiquement moins de risques de faire une rechute que celles qui avaient pris le médicament ou fait de la psychothérapie.

Manifestement, l’efficacité d’une psychothérapie ou de l’activité physique dépend de la disponibilité et des habitudes de vie de la personne. Or, la personne n’a peut-être pas l’énergie nécessaire. Elle peut se décourager face à la transformation nécessaire de ses habitudes de vie. Elle peut légitimement privilégier la solution pharmacologique, car elle a plus de sens pour elle. C’est un choix personnel qui n’invalide pas les autres options.

Par ailleurs, une étude récente (4) a porté sur l’activité physique auprès de personnes affectées par la crise sanitaire au niveau de leur santé mentale. Les auteurs démontrent son efficacité pour diminuer l’anxiété, la tristesse et la dépression, voire recouvrer sa sérénité.

L’exemple du gluten

On a beaucoup discuté dans les milieux cliniques, comme dans le grand public, d’une augmentation fulgurante du nombre de personnes qui présument avoir une intolérance au gluten sans pour autant avoir la maladie céliaque. La théorie dominante affirme que c’est une mode. Pourtant, il est fréquent que les personnes arrêtant la consommation d’aliments contenant du gluten témoignent mieux se porter. Est-ce que leur expérience mérite d’être ridiculisée par ceux qui n’y croient pas ou ne veulent pas modifier leurs habitudes alimentaires?

Le problème de l’intolérance au gluten, c’est que les symptômes sont différents selon le terrain, c’est-à-dire les conditions initiales et les habitudes de vie de chaque individu (5). Dans ce cas-là, il est très compliqué de faire émerger des données quantifiées reliant deux variables. Ceux qui réduisent leur consommation de gluten ne sont pas pour autant affublés du sobriquet de conspirationniste.

L’apport des médecines douces

Parmi les rendez-vous manqués depuis le début de la pandémie, figure l’apport des médecines douces. Peu de professionnels ont osé expliquer comment nous pouvons prendre soin de notre système immunitaire. Pourtant, ils sont nombreux à appliquer eux-mêmes ces recommandations qu’ils préfèrent taire par risque de se voir critiquer. On marche sur des œufs, de peur d’être catalogués d’antivax.

Par exemple, plusieurs dizaines d’études (6) démontrent des conséquences plus importantes des infections en lien avec certaines carences alimentaires, alors que les comorbidités liées à l’obésité sont très fréquentes chez les personnes hospitalisées ou, malheureusement, décédées.

Le piège des études quantitatives, c’est de nous faire croire que la vie ressemble à l’environnement hypercontrôlé des protocoles de recherche. Cela mène souvent à un combat de coqs: la méthode-A marche à 70%, alors que la méthode-B ne fonctionne qu’à 60%. Soit. Et si les 30% d’insatisfaction de la méthode-A étaient satisfaits par la méthode-B? Doit-on abandonner ce 30% parce que la méthode-A à un taux de satisfaction supérieur à la méthode-B? Et si on laissait choisir la personne aux prises avec le problème selon ses préférences? N’est-ce pas sa vie?

Comme société, nous jugeons toujours que cela n’est pas suffisamment significatif pour justifier des recommandations à la population. Qu’en est-il du niveau de corrélation si toutes ces facettes étaient considérées en même temps? Devant des approches sans risques, doit-on s’abstenir d’en parler? Doit-on être sûr de présenter des données de mortalité plus élevées pour juger de la pertinence? Où en est l’évaluation du risque/bénéfice?

En attendant la création d’un antiviral spécifique, on a mis beaucoup d’espoirs dans un candidat-vaccin, mais ce sérum n’empêche pas la transmission du virus et il est moins efficace qu’escompté. Preuve en est, l’accumulation des doses nécessaires pour prévenir les effets graves et la fermeture des lieux exclusivement réservés aux détenteurs du code QR. Nous devrons vivre avec le virus, mais comment?

Malheureusement, on ne s’est jamais intéressé aux personnes qui guérissaient sans avoir recours aux traitements médicaux. Pourtant, plus de 95% des gens ont guéri grâce à l’efficience du corps humain, c’est-à-dire grâce à l’efficacité de leur système immunitaire… Et si nous pouvions favoriser aussi cette capacité naturelle? Nous aurions la possibilité de donner des outils concrets à la population pour qu’ils puissent à nouveau se sentir responsables de leur santé.

 

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(1) Joël Monzée, Recherche en santé : un univers d’informations contradictoires, LaPresse.

(2) Pour une large revue scientifique, voir J. Kabat-Zinn, L’éveil des Sciences, Les Arènes, 2005; J. Kabt-Zinn, Au cœur de la tourmente, la pleine conscience : MBSR, la réduction du stress basée sur la mindfulness (trad. de l’anglais), Bruxelles, De Boeck, coll. « Carrefour des Psychothérapies », 2009.

(3) Pour des revues scientifiques, citons notamment S. Renaud, De l’utilité des neurosciences dans la compréhension de la psychothérapie de la dépression, in J. Monzée (dir.) Neurosciences et psychothérapie, Liber, 2009; J. Monzée, Médicaments et performance humaine, Liber, 2010; Dishman et al, 2021, Customary physical activity and odds of depression: a systematic review and meta-analysis of 111 prospective cohort studies. Br J Sports Med. 2021.

(4) Ai, X. and Yang, J. and Lin, Z. and Wan, X. (2021) ‘Mental health and the role of physical activity during the COVID-19 pandemic.’, Frontiers in Psychology: Environmental Psychology, 12, 759987

(5) Par exemple, Uhde M, et al. Intestinal cell damage and systemic immune activation in individuals reporting sensitivity to wheat in the absence of coeliac disease. Gut. 2016 Dec;65(12):1930-1937; Borrelli A et al. Is it time to rethink the burden of non-coeliac gluten sensitivity? A systematic review. Minerva Gastroenterol (Torino), 2021 Dec 21. (ahead of print). PMID: 34929997.

(6) Citons notamment : Kumrungsee T. et al. Potential Role of Vitamin B6 in Ameliorating the Severity of COVID-19 and Its Complications. Front Nutr. 2020 Oct 29;7:562051; Hernández JL et al. Vitamin D Status in Hospitalized Patients with SARS-CoV-2 Infection. J Clin Endocrinol Metab. 2021 Mar 8;106(3):e1343-e1353; Asher A. et al. Blood omega-3 fatty acids and death from COVID-19: A pilot study. Prostaglandins Leukot Essent Fatty Acids. 2021;166:102250; Du Laing G. et al. Course and Survival of COVID-19 Patients with Comorbidities in Relation to the Trace Element Status at Hospital Admission. Nutrients. 2021 Sep 22;13(10):3304; Salazar-Robles E. et al. Association between severity of COVID-19 symptoms and habitual food intake in adult outpatients. BMJ Nutr Prev Health. 2021 Nov 12;4(2):469-478.