En cette saison pré-hivernale, Éric Simard, docteur en biologie, et moi-même, chef cuisinier international du blogue, avons eu l’idée de vous proposer une recette tirée de la culture québécoise qui saura rejoindre notre clientèle, et ce, peu importe l’âge.

Avec ces températures qui se rafraîchissent considérablement, nous avons besoin de nous mettre du gras autour de l’os! D’autant plus, qu’en ce moment, dans nos supermarchés, nos légumes racines (carotte, pomme de terre, panais, betterave, navet, oignon, etc.) sont à des prix abordables, voire presque dérisoires. Il ne faut surtout pas passer à côté de la chance de préparer un bouilli de légume. Les légumes sont bien sûr un élément clé de la longévité en santé et le nombre d’articles scientifiques publié annuellement sur le sujet est passé d’une trentaine dans les années 90 à plus de 1000 en 2020 (source PubMed : légumes et santé). La consommation de légumes est donc associée à la réduction de la mortalité, toutes causes confondues.

Si l’on remonte à l’époque de nos grands-parents, dont tout était fait main, il y avait une pénurie, voire une absence de légume durant l’hiver. C’est pourquoi le printemps et l’été étaient favorables pour la pousse de légumes racines, des fèves vertes ou jaunes et du chou. Ces légumes ne demandaient pas une terre très riche pour croître. Plusieurs de ces végétaux pouvaient se conserver assez longtemps dans les caveaux de nos chaumières d’autrefois. Cultiver son propre potager faisait le bonheur des familles, surtout pour la confection d’un bouilli québécois.

« Bouilli » tirerait son nom de « bouillon », signifiant « qui cuit lentement et longtemps ». Quelques-uns, au contraire, pensent que le terme « bouilli » vient du fait que les légumes bien cuits se défont en bouillie. Avant et pendant l’hiver, les premiers colons français suivaient cette tradition de cuire des légumes avec de la viande ou des os à moelle. Ils souhaitaient faire de ce plat un mets conséquent et familial que l’on réchauffe. En Europe, et dans le monde entier, notre bouilli québécois a beaucoup de variantes que l’on appelle entre autres « pot-au-feu ».

Le pot-au-feu contient différents légumes, en plus de ceux auxquels nous sommes habitués, accompagnés de plusieurs sortes de viandes; ce qui n’est pas habituel dans notre recette québécoise. Certains vous diront qu’on ne doit jamais utiliser des viandes nobles pour confectionner un bouilli. C’est impératif d’utiliser des morceaux de viande persillée, pas trop sèche et pas trop maigre, afin que la saveur se transmette aux légumes par le gras de viande. Certaines viandes comme le rôti (de bas ou de haut) de palette, le jarret de bœuf, la macreuse et l’épaule sont des choix judicieux pour ce plat.

Voici un peu d’histoire concernant un légume vedette dans le bouilli de légume; le navet ou rutabaga! Selon de nombreuses sources, « rutabaga » serait une déformation du nom suédois « rottabaggar » qui signifierait « chou-navet ». Après enquête, « rot » veut dire racine et baggar signifie béliers : rottabaggar équivaudrait donc à « racine pour bélier », faisant référence à l’utilisation très répandue du rutabaga (navet) comme plante fourragère tout au long de son histoire.

Saviez-vous que le rutabaga ou navet est très prisé dans la gastronomie suédoise? On le cuisine en succulent gratin avec de la muscade. Au Québec, nos aïeux l’appelaient chou de Siam. À un autre siècle, c’était aussi le nom donné au chou-rave par les Français qui croyaient avoir affaire à un chou thaïlandais. Il s’agissait d’une appellation donnée autrefois en Thaïlande. Le navet est un légume que les Français ont consommé dans des proportions inouïes au moment de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi? Parce que ce tubercule, auparavant adressé au bétail, n’était pas réquisitionné par l’occupant nazi! Peut-être que les soldats allemands prenaient leur revanche, eux qui avaient mangé des tonnes de rutabaga pendant le blocus de la Première Guerre mondiale. Le navet était même entré dans la composition du pain et du café!

Le navet fut très populaire en Europe, jusqu’au 18e siècle, lorsque l’arrivée de la pomme de terre le poussa au second plan. Alors que tant de produits ont été rapportés en Europe par les conquistadors portugais, le navet fut introduit en Amérique du Nord par Jacques Cartier en 1541 avec la laitue et le chou. Il fut rapidement adopté par les Amérindiens qui se mirent à le cultiver.

En définitive, pour ce mois de novembre, nous aimerions vous offrir un bouilli de légume réinventé avec une touche toute spéciale; celle d’ajouter un légume feuillu, des champignons ainsi qu’un assaisonnement personnalisé. Bonne cuisine et surtout bon partage avec nos aînés!

 

Ingrédients :

– 4 à 6 livres de viande : gros rôti de bas et/ou de haut de palette OU culotte de haut de surlonge

– 1 à 2 jarrets de bœuf avec os OU 3 à 4 os à moelle (os à soupe)

– farine blanche (quelques cuillérées)

– sel et poivre

– paprika bien rouge (régulier ou hongrois)

– huile végétale ou d’olive

– 10 tasses d’eau, de bouillon de bœuf ou de légumes

– 2 enveloppes de soupe à l’oignon Lipton

– 3 à 4 blancs de poireaux coupés en rondelles grossières OU 3 à 5 oignons moyens coupés en moitié, redétaillés en quatre (gros dés)

-6 à 8 gousses d’ail finement émincées

-3 branches de céleri coupées en tronçons diagonaux larges

-5 carottes moyennes ou 3 grosses carottes coupées en rondelles grossières

-1 gros navet (rutabaga) coupé en gros cubes

– 3 panais coupés en rondelles grossières (facultatifs)

– 1 gros chou vert ou de Savoie coupé en deux, recoupé en quatre

– 3 à 4 tasses de champignons blancs tranchés épais

– Haricots verts et/ou jaunes (environ une trentaine)

– 1 gros sac d’épinards larges ou feuillus au choix (kale, collard, bette à carde, etc.)

– persil frais (facultatif)

– Une vingtaine de pommes de terre dites « grelot » ou « nouvelle » (rouges, blanches, bleues ou mixtes) OU une dizaine de pommes de terre moyennes épluchées, taillées en gros morceaux

Bouquet garni* et assaisonnement (bouilli) :

– Thym frais (4 à 5 branches)

– Sarriette fraîche (3 à 4 branches)

– Marjolaine fraîche (3 à 5 branches)

– 4 à 6 feuilles de laurier fraîches ou séchées

– 1 cuillère à soupe de grains de poivre noir

– 1/2 cuillères à thé de graines de coriandre

– 1 boule de muscade

– 4 clous de girofle

 

*Note : Pour le bouquet garni, voici quelques précisions en ce qui concerne les herbes. Elles peuvent être attachées à l’aide d’un petit bout de corde de boucher ou de ficelle de coton. Si vous choisissez de laisser infuser les herbes ainsi que les feuilles de laurier sans les fixer, n’oubliez pas de les retirer au moment de servir. Vous pouvez mettre vos épices entières dans une boule à thé ou même un morceau de coton fromage (étamine) bien noué. Aucun d’entre nous ne souhaiterait croquer dans une épice entière.

Étapes :

  1. Dans une assiette, mettez quelques cuillérées de farine avec du paprika, sel et poivre. Cet heureux mélange vous servira à enduire vos morceaux de viande. Sortez un gros faitout, ou encore, un énorme chaudron à soupe. L’important est qu’il puisse contenir jusqu’à environ 20 tasses de liquide. Connaissant bien vos chaudrons, choisissez-en un qui possède une cuisson uniforme. Confectionnez vos bouquets garnis (fines herbes, épices entières) afin qu’ils soient déjà prêts pour la cuisson du bouilli. Farinez les morceaux de viande (incluant les os à moelle), puis dans votre chaudron, faites-les sauter dans l’huile à feu moyen élevé. Saisir les viandes de chaque côté en assurant une coloration bien dorée et ajouter vos dix tasses de liquide. Portez à ébullition à feu moyen. Après un moment, vous observerez une mousse grisâtre (des phospholipides) remontant à la surface; retirez-la le plus possible jusqu’à ce que le bouillon redevienne clair. Après une bonne demi-heure, votre viande commencera sans doute à mijoter uniformément. Par la suite, jetez les bouquets garnis et poursuivez la cuisson durant 40 minutes à couvercle demi-fermé.
  2. Voilà qu’une heure dix de cuisson est écoulée! Il est maintenant le moment d’ajouter les poireaux et/ou oignons, le céleri, les rondelles de carotte, le navet, le panais et les enveloppes de soupe à l’oignon. Ne stressez surtout pas. On veut une viande tendre. Par conséquent, ça exige du temps. C’est pourquoi vous pourriez couper tous ces légumes, puis les ajouter au fur et à mesure au bouilli. Nous vous avons suggéré de débuter avec ces derniers, car ils sont plus longs à cuire; permettant ainsi à la viande d’être fondante à souhait. Préparez le chou, puis ajoutez-le au bouilli lorsque vos légumes commenceront à s’attendrir. Si vous choisissez d’utiliser des pommes de terre grelots ou nouvelles, vous pourrez les ajouter au même moment. Si vous utilisez les patates régulières, attendez avant de les ajouter parce qu’elles cuiront beaucoup plus rapidement. Cette étape devrait durer environ une heure et demie pour que vos légumes racines et votre viande soient tendres.
  3. Étant rendu à un moment crucial de l’amalgame des saveurs de votre bouilli, il est important d’ajuster l’assaisonnement. C’est-à-dire saler, même poivrer au besoin. Il est possible que ce ne soit pas nécessaire à cause de l’assaisonnement de soupe à l’oignon qui est déjà bien salé. Néanmoins, il vous faudra sans doute réajuster l’assaisonnement à la fin à cause de l’ajout des derniers légumes. Tranchez les champignons, équeutez les fèves, lavez les feuillus à l’exception des épinards qui sont souvent prélavés, sans oublier les patates régulières, si utilisées. Dans le cas d’autres feuillus comme le kale, la bette à carde ou encore le collard, il faut retirer la feuille de la tige, après cela les laver puis les détailler en gros rubans. Retirez les bouquets garnis du bouilli. Par la suite, ajouter les derniers légumes taillés de façon à finaliser le plat. Leur cuisson pourrait varier de 20 à 30 minutes. Cette dernière étape devrait aussi permettre à la viande de se couper à la fourchette.
  4. Alors que votre festin est sur le point d’être servi, il faut goûter et corriger l’assaisonnement au besoin. Du coup, vérifiez la tendreté de vos derniers légumes ajoutés qui devraient être cuits. Hachez finement l’ail et le persil (si désiré) puis additionnez-les au bouilli. Vous pouvez maintenant éteindre le rond pour laisser l’ail et le persil infuser de 2 à 3 minutes.

Ce plat est convivial. Il est donc possible d’apporter le chaudron sur la table et servir, mais préparer des portions de manière à rendre les parts de viande égales est préférable. Les marinades comme les cornichons sucrés, les chutneys ou les betteraves marinées sont de mise avec ce plat. Nous vous suggérons d’avoir un pain croûté de blé entier et/ou de grains entiers qui saura s’harmoniser parfaitement avec les riches saveurs du bouillon. Vos amis, votre famille et même le cœur de grand-maman seront conquis par ce bouilli réinventé.

En ces temps difficiles, on vous propose ce plat réconfortant tout en souhaitant que notre touche personnalisée sache égayer vos sourires!

 

 

Références:

  • Li et al., 2017. Legume Consumption and All-Cause and Cardiovascular Disease Mortality. Biomed Res Int. 2017;2017:8450618.
  • Willcox et al., 2014. Healthy aging diets other than the Mediterranean: a focus on the Okinawan diet. Mech Ageing Dev. 2014 Mar-Apr;136-137:148-62.