Cycles irréguliers et anovulatoires, prise de poids, bouffées de chaleur et insomnie sont les signes communs qui ne surprennent personne lorsqu’une femme avance vers sa ménopause. Ces symptômes représentent de bons indicateurs de transformation de l’horloge biologique et d’amenuisement du potentiel fertile. En revanche, « l’autre préménopause » se réfère à un ensemble de signes physiologiques tout aussi important, qui passe toutefois sous le radar du changement hormonal. Et pourtant ! En effet, plusieurs femmes expérimentent des inconforts divers, qui, à première vue, ne laissent aucunement présager une relation hormonale, puisqu’étrangement, le cycle menstruel demeure habituellement inchangé.

La préménopause (ou périménopause) renvoie à la période de transition précédant la ménopause au cours de laquelle les taux d’hormones progestérone et estrogènes diminuent progressivement. Le remaniement hormonal débute sournoisement dans la trentaine pour s’intensifier avec les années. Ce déséquilibre hormonal induit des symptômes désagréables variés, parfois étranges, particulièrement notables dans la quarantaine et la cinquantaine. Explorons quelques-uns de ces symptômes moins familiers, mais tout à fait normaux.

Céphalée et migraine

Les modifications hormonales influencent la prépondérance féminine à la céphalée et à la migraine. En effet, près des deux tiers des personnes migraineuses ont des déclencheurs hormonaux et les probabilités augmentent de 50 % lorsque les niveaux d’estrogènes, et conséquemment de progestérone, sont faibles (1). Puisque ces deux hormones majeures diminuent progressivement durant la préménopause, une hausse proportionnelle des maux de tête, pouvant atteindre de 25 à 30 %, est ressentie chez les femmes à partir de 35 à 40 ans (2).

Lorsque les niveaux d’estrogènes et de progestérone diminuent, nous assistons à un remaniement neuroendocrinien global. Ces hormones ont toutes deux une action importante sur les récepteurs sérotoninergiques centraux et sur les récepteurs opiacés impliqués dans la sensation de douleur. Toutefois la chute de l’estradiol semble être le mécanisme principal de la migraine hormonale (3, 4).

Estrogènes et sérotonine : La sérotonine est le principal neurotransmetteur responsable de l’attitude positive, mais là ne se limite pas son rôle. La sérotonine affecte également le dynamisme des vaisseaux sanguins (dilatation et vasoconstriction), la viscosité sanguine, la perception de la douleur via le nerf trijumeau et les noyaux du raphé ainsi que la réponse neuroendocrinienne de l’hypothalamus, soit la majorité des causes officielles liées à la migraine. L’implication de la sérotonine est bien définie, d’où la pertinence des médicaments appartenant à la catégorie des triptans (agonistes de récepteurs de la sérotonine), reconnus comme traitement efficace contre les migraines. Chez la femme, la perception de la douleur varie en fonction des phases du cycle menstruel (7). En effet, les estrogènes sont reconnus pour augmenter la densité des récepteurs de sérotonine, ce qui influence directement le transport de celle-ci dans le cerveau. Ceci signifie qu’en réduction d’estrogènes, la participation de la sérotonine sera également diminuée et la susceptibilité aux céphalées augmentée. La relation entre estrogènes et sérotonine est aussi celle qui détermine la sévérité du syndrome prémenstruel (5), dont les changements d’humeur et les fringales sucrées (par leur apport en tryptophane, le précurseur de la sérotonine) que plusieurs femmes connaissent ! Ceci laisse sous-entendre que la vitesse des changements hormonaux pendant la périménopause pourrait représenter un élément prédictif pour le développement des céphalées, en particulier chez les femmes ayant des antécédents de syndrome prémenstruel important au cours de leur période reproductive (6).

Estrogènes et opiacés : Les récepteurs opiacés sont directement impliqués dans la sensation de douleur. Parmi les neurotransmetteurs antalgiques appartenant à cette famille, nous retrouvons les endorphines. Or, les estrogènes favorisent leur synthèse, ce qui se traduit par une inhibition de la perception douloureuse. Lorsque les concentrations d’estrogènes diminuent et conséquemment celle des endorphines, « toute douleur est perçue comme plus intense, et particulièrement dans le cas d’une migraine menstruelle », souligne le Dr Calhoun, neurologue (1).

Douleurs articulaires

Les hormones de reproduction travaillent de concert pour assurer la santé articulaire. Pas étonnant que l’augmentation des rhumatismes et des arthralgies concorde avec la chute de ces hormones et qu’elle s’accentue à partir de la préménopause. En effet, les estrogènes et la progestérone agissent en modulant l’inflammation à la baisse. Les douleurs s’installent progressivement, en suivant les fluctuations hormonales durant le cycle. Cette réalité est vécue par plus de la moitié des femmes lors de la périménopause (8). L’hormonothérapie substitutive représente, à cet égard, une mesure conservatrice et efficace pour faire face à ce syndrome inconfortable (9). D’ailleurs, les arthralgies surviennent fréquemment après l’arrêt soudain de celle-ci, lors d’un traitement antiestrogénique suivant un cancer hormonodépendant et à la suite d’une hystérectomie, puisqu’ils provoquent tous trois une chute marquée des estrogènes circulants.

Non seulement les estrogènes sont anti-inflammatoires et modulateurs de la douleur, mais ils favorisent aussi le renouvellement des chondrocytes endommagées, soit les cellules responsables de fabriquer le collagène et d’ainsi maintenir l’intégrité du tissu cartilagineux (10). Les chondrocytes sont des cellules sensibles à l’inflammation et aux désordres hormonaux. En fait, elles possèdent des récepteurs aux estrogènes à leur surface (11). Lors d’une raréfaction en estrogènes, le renouvellement des chondrocytes est ralenti, ce qui favorise la dégradation du cartilage et de l’os. Plusieurs modèles animaux ont confirmé l’importance des estrogènes en utilisant des marqueurs biochimiques de la dégradation articulaire. Ils ont démontré une inhibition d’environ 50 % de la destruction du cartilage lorsque les estrogènes sont disponibles (12). Chez les femmes vivant avec une polyarthrite rhumatoïde, on note d’ailleurs un soulagement de la douleur lorsque les estrogènes sont plus élevés (autour de l’ovulation) au cours du cycle menstruel (13, 14, 15).

Palpitations cardiaques

Les fluctuations hormonales peuvent également entraîner des modifications du rythme cardiaque. Ceci est souvent plus notable le soir, une fois la femme allongée et détendue, mais peut survenir à tout moment du jour également. Le cœur s’emballe sans pourtant qu’on ressente de la nervosité. Les palpitations occasionnelles et temporaires font possiblement partie de l’expérience de transition et se manifestent couramment lors de la périménopause. Les palpitations cardiaques peuvent augmenter la fréquence cardiaque de 8 à 16 battements en moyenne par minute. Alors que la préménopause peut commencer 8 à 10 ans avant la ménopause, c’est surtout au cours des dernières années de cette transition que la baisse des estrogènes s’accélère significativement et influence la fréquence cardiaque, augmente la tendance aux palpitations et aux arythmies non menaçantes. La baisse en estrogènes est connue pour entraîner une surstimulation cardiaque. Toutefois, il est suggéré de consulter un médecin pour s’assurer que ces manifestations sont effectivement inoffensives !

De récentes recherches montrent que les palpitations sont un problème pénible pour environ 25 % des femmes pendant la périménopause. La prévalence pour une femme de signaler une détresse due aux palpitations est plus élevées chez celles qui souffrent d’insomnie, de dépression et de stress. Dans ce sous-groupe, près de 34 % ont signalé des épisodes de palpitations cardiaques (16). Puisque plusieurs symptômes hormonaux se produisent en raison de changements dans le système nerveux, tels que l’insomnie, les bouffées de chaleur et les douleurs articulaires, il serait possible que les palpitations s’expliquent ainsi (17).

Énergie et intérêt : faible tolérance à l’effort physique et mental

Avec la diminution des hormones sexuelles, plusieurs femmes ressentent un brouillard cérébral, une perte de clarté mentale, des difficultés de concentration et de mémoire. Ceci n’est pas surprenant, puisque les estrogènes, comme modulateurs de plusieurs neurotransmetteurs, influencent la fonction exécutive et la vitesse de traitement de l’information. Ceci est bien répertorié comme symptôme lié à la chute des hormones, mais explorons une autre facette moins connue, celle de la dopamine.

La dopamine est l’un des neurotransmetteurs sensibles au taux d’estrogènes circulants. Elle contrôle l’activité musculaire et module notre niveau d’attention et de motivation. Ceci explique pourquoi les femmes ont des capacités cognitives et athlétiques variables selon différents moments de leur cycle menstruel. Les scientifiques savent depuis des décennies que la mémoire de travail (traitement de l’information à court terme) dépend de la dopamine. Il y a quelques années, une équipe de neuroscientifiques de l’Université de Californie à Berkeley a exploré comment les fluctuations hormonales au cours du cycle menstruel d’une femme peuvent affecter le cerveau. Les chercheurs ont constaté que cette hormone agissait aussi puissamment que la caféine, les méthamphétamines ou le médicament d’attention populaire Ritalin. En effet, les femmes qui avaient une production faible d’estrogènes, et conséquemment de dopamine, ont eu plus de mal à effectuer les tâches proposées. Ceci est venu confirmer la relation entre les estrogènes et la libération de dopamine. Ce constat serait uniquement observé chez les femmes, et non les hommes. Cela peut signifier également que la caféine, qui déclenche une libération de dopamine, comme les médicaments de type Ritalin, est moins efficace à certains moments du mois pour certaines femmes (18).

Les estrogènes modulent assurément le comportement par leur impact sur la dopamine. Celle-ci étant reconnue comme la molécule principale du plaisir et de la satisfaction, plusieurs femmes ressentent une baisse de motivation lors de la périménopause. Ceci se traduit par un désintérêt variable et une baisse d’initiative. Plus la chute hormonale est marquée, plus la dopamine sera affectée et plus l’enthousiasme sera maigre. La préménopause peut ainsi devenir une période perturbante et même prendre l’ampleur d’une crise psychique majeure pour certaines femmes.

Les hormones sexuelles, et particulièrement les estrogènes, influencent l’individu bien au-delà de l’aspect reproductif. La périménopause est un passage obligé qui transforme la vie de l’ensemble des femmes. Les signes cliniques diffèrent d’une femme à l’autre. Certains symptômes, bien répertoriés, comme l’arrêt des règles et les bouffées de chaleur, nous indiquent sans équivoque l’arrivée de cette période transitoire. Cependant, plusieurs autres manifestations sournoises et moins caractérisées débutent des années bien avant la ménopause. Elles affectent la qualité de vie et ne sont pas d’office interprétées en regard des fluctuations hormonales qui s’intensifient. Reconnaître que ces symptômes sont normaux et transitoires permet de réduire leur caractère anxiogène. La périménopause est un processus évolutif qui débute plus tôt pour certaines femmes que d’autres, sachez-le !

 

Publié initialement dans la revue Vitalité QC : https://vitalitequebec-magazine.com/

 

 

Références:

  • Calhoun A, Ford S. Elimination of menstrual-related migraine beneficially impacts chronification and medication overuse. Headache. 2008;48(8):1186-1193;
  • Low estrogene levels trigger menstrual migraine, Neurology Review, 2009 may 17;
  • Nater, J. Bougousslavsky, Migraine et hormones. Rev Med Suisse 2002, volume 2;
  • B W Somerville, The role of progesterone in menstrual migraine, Neurology, 1971 Aug;21(8):853-9;
  • Rémy C. Martin-Du-Pan. Syndrome prémenstruel, envie de sucre et sérotonine. Rev Med Suisse 2010; volume 6. 1517-1517;
  • Faubion S, Batur P, Calhoun AH. Migraine Throughout the Female Reproductive Life CycleMayo Clinic Proceedings. 2018 May;93(5):639–645;
  • International Association for the Study of Pain, September 2007. iasp­pain.org;
  • Magliano M. Menopausal arthralgia: Fact or fiction. 2010 Sep 1;67(1):29-33;
  • Rowan T Chlebowski,  Dominic J Cirillo et al. Estrogen alone and joint symptoms in the Women’s Health Initiative randomized trial, Menopause, 2018 Nov;25(11):1313-1320;
  • Reena M TalwarB, rendan S Wong et al. Effects of estrogen on chondrocyte proliferation and collagen synthesis in skeletally mature articular cartilage, J Oral Maxillofac Surg, 2006 Apr;64(4):600-9;
  • Anita BreuBenedikt Sprinzing et al. Estrogen reduces cellular aging in human mesenchymal stem cells and chondrocytes, J Orthop Res, 2011 Oct;29(10):1563-71;
  • M A KarsdalA C Bay-JensenK HenriksenC Christiansen, The pathogenesis of osteoarthritis involves bone, cartilage and synovial inflammation: may estrogen be a magic bullet? Menopause Int, 2012 Dec;18(4):139-46;
  • J E McDonaghM M SinghI D Griffiths. Menstrual arthritis. Ann Rheum Dis, 1993;
  • N S Latman, Relation of menstrual cycle phase to symptoms of rheumatoid arthritis, Am J Med, 1983 Jun;74(6):957-60;
  • Rowan T. ChlebowskiDominic J. Cirillo et al. Estrogen Alone and Joint Symptoms in the Women’s Health Initiative Randomized Trial, 2013 Jun;
  • Jenet Carpenter, PhD, distinguished professor, Audrey Geisel Endowed Chair in Innovation, associate dean of research, Indiana University School of Nursing, Indianapolis;
  • Stephanie Faubion, MD, medical director, North American Menopause Society, and director, Center for Women’s Health, Mayo Clinic, Rochester, Minn.; Journal of Women’s Health,  20, 2020, online;
  • Jacobs, Emily Christine, Estrogen shapes dopamine-dependent cognitive processes: Implications for women’s health. Berkeley, University of California, 2010.