Voici le 6e article de la série rédigée par le Dr Mathieu Millette, consultez les articles précédents : Ma mère et le SARS-COV-2, Un excellent virus, L’Empire contre attaque, I have a dream… et D’Aristote à la Covid-19.

 

Corps de lion crachant du feu, affublé du cou et d’une tête de bouc, le tout terminé par un serpent en guise de queue, la chimère était ainsi dépeinte en Grèce antique. C’est le héros Bellérophon chevauchant le cheval ailé Pégase qui est venu à bout de la chimère.

En 2020, l’humanité affronte aussi une chimère, cette fois sous la forme du virus SARS-CoV-2. Au moment d’écrire ces lignes, le virus s’est répandu partout sur la planète, dans 212 pays et territoires. On dénombre plus de 5 millions de cas et au-delà de 325 000 personnes sont décédées avec le virus. Les spécialistes ont même détecté plusieurs souches du virus. Notre chimère moderne mute tranquillement, mais inexorablement, à l’instar de tous les virus. Mais quelle est l’origine du SARS-CoV-2? Comment est-il arrivé sur Terre? Ou plutôt, comment en est-il venu à causer tant de problèmes aux humains?

 La barrière des espèces

Les experts des maladies infectieuses s’accordent pour dire que le SARS-CoV-2 a franchi la barrière des espèces, c’est-à-dire qu’il s’est transmis d’un animal à un humain. Normalement un virus adapté à une espèce se réplique et se propage au sein de cette espèce et ne s’attaque pas à une autre espèce. Cette barrière des espèces est rendue possible parce que les protéines sur la membrane des virus sont très spécifiques d’un récepteur (un autre type de protéine) qu’on retrouve à la surface de cellules précises d’un animal en particulier; chaque serrure a sa clé. Parfois, les animaux infectés par les virus développent une maladie et peuvent même en mourir, mais la plupart du temps non. Ils vivent très bien avec le virus. On nomme ces derniers des réservoirs et ils contribuent à la perpétuation du virus.

Pourtant, cette barrière des espèces est franchie régulièrement pour plusieurs maladies infectieuses humaines telles l’Ebola, le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS), Syndrome Respiratoire du Moyen-Orient (MERS), le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), la rage et bien d’autres. Il semble que ce phénomène soit grandissant parce que les humains empiètent de plus en plus sur les territoires sauvages et inexplorés dans lesquels est retrouvée une forte densité de la faune terrestre. Par exemple, l’Amazonie, cette immense forêt vierge au Brésil aussi appelée le poumon de la planète, est défrichée quotidiennement pour faire plus de terres cultivables ou de pâturages pour y élever d’immenses troupeaux d’animaux… pour rassasier notre envie irrépressible de viande, mais ça, c’est un autre débat.

Plusieurs de ces sauts viraux animaux – humains ont dû cependant passer inaperçus au cours de l’histoire de l’humanité parce que la densité de la population humaine n’était pas suffisante pour maintenir la propagation partout dans le monde. Par exemple, les hommes de Cro-Magnon d’une région donnée sont peut-être tous morts d’un virus sans que cela ne devienne une pandémie.

 Les coronavirus

Il faut savoir que le SARS-CoV-2 fait partie d’une grande famille de virus qu’on appelle les coronavirus. De très nombreux virus de cette famille ont été isolés d’animaux partout sur la planète. Ce sont les coronavirus de mammifères qui nous inquiètent le plus, car ces animaux partagent certaines similitudes moléculaires et biochimiques avec les humains. Les microbiologistes ont isolé des coronavirus chez des chameaux, chats, chauve-souris, chiens, civettes, dindes, furets, pangolins, rats, souris et des porcs entre autres. Et aussi chez les humains. En effet, le SARS-CoV-2 est le septième coronavirus à se répandre chez les humains. Il y a le SARS-CoV et le MERS-CoV qui provoquent des maladies graves et souvent mortelles, tandis que les HKU1, NL63, OC43 et 229E ne provoquent que des symptômes semblables au rhume.

 Origine du SARS-CoV-2

D’entrée de jeu, non, le SARS-CoV-2 n’a pas été créé par l’Homme. À preuve, plusieurs experts en génie génétique et en bio-informatique ont étudié le matériel génétique de nombreuses souches de ce virus et n’ont pas retrouvé les « traces » caractéristiques laissées par les manipulations génétiques lorsque les scientifiques modifient des virus. Dossier clos. Mais quelle est l’origine de ce damné virus alors? Tout bonnement de la nature. Vous savez la fameuse évolution décrite par Charles Darwin dans son bouquin « L’origine des espèces » paru en 1859? Et bien, ce n’est ni plus ni moins que de sa faute.

La souche de coronavirus RaTG13 a été isolée d’une chauve-souris Rhinolophus affinis, plus communément appelée rhinolophe intermédiaire. Cette chauve-souris au faciès très particulier est commune en Chine et en Asie du Sud-Est. Pourquoi je vous en parle? Parce que le matériel génétique de cette souche est ultra apparenté à celui du SARS-CoV-2. En fait, les deux génomes sont similaires à 96%; ce qui est très semblable croyez-moi. Lorsque les généticiens tracent les arbres généalogiques de toutes les souches de coronavirus connues, RaTG13 est la plus semblable au SARS-CoV-2. Cependant, bien que très apparenté, il semble que la portion de la protéine virale (qui permet l’entrée dans les cellules humaines) de RaTG13 n’a pas une bonne affinité avec ACE2, la protéine qui agit comme serrure. Ça signifie que RaTG13 ne peut pas infecter et se reproduire chez les humains.

D’autres souches semblables de coronavirus ont été isolées, cette fois provenant de Manis javanica ou pangolin javanais, un mammifère à écaille insectivore qui vit dans la même région que les rhinolophes. Ces souches sont moins semblables que celles de la chauve-souris, mais la région de la protéine virale qui reconnaît ACE2 est identique à celle de SARS-CoV-2.

Nous avons maintenant la preuve que des mutations aléatoires dans la nature peuvent mener à une transformation du SARS-CoV-2 pour le rendre infectieux et virulent chez les humains. Cependant, une question persiste : comment ce virus a franchi la barrière entre les espèces? À chaque fois que des virus à ARN se répliquent, il y a des mutations, c’est-à-dire des erreurs de transcription dans le matériel génétique des nouveaux virus. Parfois, certaines de ces mutations sont localisées à des endroits stratégiques qui confèrent de nouvelles caractéristiques aux bébés virus. Parfois, ça leur permet d’infecter de nouvelles cellules. Parfois, ça leur permet de franchir la barrière des espèces et de se propager au sein des humains.

Les scientifiques investiguent maintenant deux hypothèses : une série de mutations bénéfiques (pour le virus) est survenue dans un animal pour ensuite infecter l’humain, ou ces mutations se sont plutôt déroulées directement chez un humain suite à plusieurs essais et erreurs infructueux et silencieux.

En résumé…

OK, OK. Je sais, vous commencez à « saigner du nez ». Trop de jargon. Trop technique. Pour résumer simplement :

  1. le SARS-CoV-2 n’a pas été créé par un scientifique illuminé s’étant doté de la mission divine de contrôler les populations humaines;
  2. les caractéristiques qui ont permis au SARS-CoV-2 d’infecter les humains et de causer la maladie ont été retrouvées dans la nature sur des virus de chauve-souris ou de pangolins;
  3. le SARS-CoV-2 est un enfant de l’évolution. Il s’est adapté afin d’infecter l’espèce dominante sur Terre et est en train de rétablir l’équilibre;
  4. ce virus chimère serait apparu, en 2019, dans les alentours de la ville de Wuhan, en Chine, lieu des premiers cas documentés de pneumonies typiques de la COVID-19. C’est grâce à la mondialisation et aux voyages par avion que le virus s’est répandu partout sur Terre comme une trainée de poudre.

SARS-CoV-2 est bien une chimère, une créature non pas mythique, mais plutôt microbiologique et surtout bien réelle. Cette chimère nous accompagnera encore un bon bout de temps, comme beaucoup d’autres virus. À moins qu’un Bellérophon des temps modernes se pointe à l’horizon…

 

Mathieu Millette, Ph. D. Mcb.A. Docteur en microbiologie et membre de l’Association des Microbiologistes du Québec