Adapté du chapitre 8 ‘’Déprescription’’ du livre ‘’Vivre jeune DEUX fois plus longtemps’’.

Les cascades médicamenteuses

Dans les dernières années, suite à cette polypharmacie quasi chronique dont sont victimes nos personnes âgées, le monde médical a commencé à réaliser que plusieurs médicaments étaient susceptibles d’engendrer ce qu’il est convenu d’appeler des cascades médicamenteuses :

  • un médicament no.1 prescrit pour une indication spécifique peut causer un effet indésirable qui, dans certains cas, sera interprété comme une nouvelle pathologie et pour lequel on prescrira,
  • un médicament no.2 qui, lui aussi, provoquera un ou des effets indésirables qui devront être traités par un médicament no.3,
  • et ainsi de suite.

Bien que la notion de cascade médicamenteuse ait été évoquée, il y a déjà une vingtaine d’années, le concept n’est pas familier pour beaucoup de gens, incluant certains professionnels de la santé. Ce n’est que dans les trois ou quatre dernières années que la notion a commencé à se répandre à une plus large échelle. N’importe quel médecin ou pharmacien un tant soit peu expérimenté vous dira que ce sont des choses que l’on rencontre sur une base régulière. À titre d’exemple :

  • Un patient se voit prescrire un diurétique thiazidique pour un œdème ou pour l’hypertension.
  • Par la suite, il présentera possiblement des signes d’hypokaliémie (diminution de la concentration de potassium en dessous d’un seuil acceptable), ce qui pourrait entraîner des complications cardiaques. On devra donc lui prescrire un supplément de potassium.
  • Ce supplément de potassium pourra engendrer des problèmes digestifs, pouvant aller jusqu’à l’ulcère gastro-duodénal.
  • Ainsi le prescripteur n’aura d’autre choix que de protéger l’estomac du patient avec un IPP (inhibiteur de pompe à protons tels les omeprazole, pantoprazole ou esomeprazole de ce monde).
  • On pourrait continuer en supposant que cet IPP pourrait causer une diarrhée pour laquelle on lui donnerait une prescription de lopéramide, et la cascade pourrait continuer presque indéfiniment.

On comprendra ici qu’à partir d’une seule pathologie et d’un seul médicament prescrit et nécessaire, le patient finira par en consommer trois ou quatre.

Prévention des cascades médicamenteuses

En général, la cascade médicamenteuse est détectée lorsqu’une situation problématique survient : une chute, une hospitalisation, une nouvelle prescription, de nouveaux effets secondaires. Mais serait-il possible d’intervenir en amont? Probablement.

Les professionnels de la santé ont maintenant à leur disposition des tableaux leur permettant de déterminer des algorithmes de questions ou d’interventions qui peuvent et doivent être mis en place. Le premier principe étant notamment de questionner le patient sur les effets secondaires, particulièrement suite à la prescription d’un nouveau médicament. Les personnes âgées sont souvent inconfortables ou gênées de poser des questions aux professionnels de la santé ; elles ne veulent pas « déranger ». Il est donc de notre devoir de poser des questions et de demander aux proches de ne pas hésiter à rapporter des effets inhabituels chez leurs proches âgés : étourdissements, crampes, hallucinations, insomnie, enflures aux extrémités, incontinence, nausées, toux. En somme, tout changement considéré comme anormal chez le patient.

Entreprendre un traitement par une dose plus faible, en l’augmentant progressivement, est un exemple d’approche que nous, pharmaciens, voyons de plus en plus souvent. Les prescriptions comportant des « étapes » sont de plus en plus courantes.

Remettre de l’information écrite au patient pour le prévenir des effets secondaires possibles d’un nouveau médicament fait aussi partie de la routine des pharmaciens. Mais rien ne vaut notre vigilance et notre disponibilité envers nos patients.

De grands changements de mentalité devront survenir dans les prochaines années pour refléter cette nouvelle conception de la gestion de la médication chez les personnes âgées. Il est clair qu’un virage irréversible s’amorce dès maintenant :

  • De multiples algorithmes de déprescription sont maintenant disponibles pour les professionnels de la santé, notamment sur la déprescription des IPP, des antipsychotiques, des antihyperglycémiants ou des benzodiazépines qui, soit dit en passant, représentent probablement la première classe de médicaments qui devraient être diminués ou cessés chez les patients âgés, étant donné le rapport risques/bénéfices douteux.
  • Les patients âgés discutent de plus en plus avec leurs médecins et pharmaciens, et demandent plus fréquemment qu’avant une réduction de leur médication.
  • N’oublions jamais que nous avons besoin de l’implication du patient pour réaliser harmonieusement la déprescription.
  • De plus en plus de moyens non pharmacologiques sont disponibles et peuvent aider à la réduction de doses ou l’arrêt de certains médicaments. Des soins psychologiques et en particulier la thérapie cognitivo-comportementale obtiennent passablement de succès.
  • Il existe même un Réseau canadien pour la déprescription (Deprescribing.org), groupement résolument engagé et subventionné par l’Institut de recherche en santé du Canada. Ses activités ont débuté en janvier 2015 et son objectif avoué est de contribuer à la promotion de la santé en réduisant les dommages liés à l’usage de médicaments inappropriés, donc en diminuant leur prescription et en procédant à la déprescription.

Pour terminer, voici la phrase qui résume probablement le mieux la façon dont les prescripteurs devraient concevoir la prescription chez la personne âgée : « Commencez lentement et continuez doucement. »